Il y a des villes jaunes
Il y a des villes jaunes, des villes bleues, des villes rouges et puis il y a Carpentras qui est ocre ; ocre par les matériaux utilisés dans la construction des bâtiments, et grise à cause de la nuit qui descendait. Le soirmême de mon arrivée, j’ai parcouru le cœur de la ville, sans but, comme j’aime à le faire dans une ville inconnue ; cette manière d’aborder une ville me permet à chaque fois de «planter des repères», d’en appréhender la géographie, d’en piocher les caractéristiques. Avec Carpentras, cette stratégie de l’errance n’a pas marché ; plus je me perdais dans Carpentras, et plus je ne parvenais pas à saisir des points d’ancrage, et quand, finalement, j’ai réussi à croiser un peu toutes ces informations contradictoires, quand j’ai cru que j’avais enfin compris quelque chose au fonctionnement de cette ville, je me suis aperçu que je me trompais. Ainsi, une rue devenue un brin familière, aboutissait à l’endroit que je venais de quitter, créant ainsi une sorte de boucle spatiale, et parfois temporelle, car cette rue était sans âge, et me projetait soudain dans un temps inaccessible jusqu’alors. Mais si les rues surprennent constamment, les maisons sont autant de surprises : on croit voir une maison banale— on pousse le regard par une porte entrebâillée, et l’on découvre une arrière-cour somptueuse, un jardin profus, ou un espace venu de la nuit des temps ; il y a telle placette qui est le conservatoire d’un silence qui paraît n’avoir jamais été troublé, telle ruelle étroite aux murs titanesques qui débouche sur la rumeur soudaine d’un boulevard jusque-là muet, avec au loin le mont Ventoux enneigé. En me promenant dans les rues de Carpentras, en m’égarant dans le labyrinthe des rues de Carpentras aurais -je dû dire, j’ai fini par comprendre que je me promenais dans le cerveau en pierre de la ville. La ville est vivante par ses habitants, mais aussi par sa matière ocre et solide dont on a l’impression que l’on fera jamais le tour, alors même qu’on l’aura physiquement parcourue de bout en bout. Un labyrinthe limité et illimité en même temps.