René Frégni
À l'âge de 19 ans, comme tous les jeunes gens, je fus appelé sous les drapeaux, je m'y rendis mais sans trop me presser. J'arrivai à la caserne souriant, bronzé et on me mit au trou. Mi-figue Mirador j'y croupis quelques mois en compagnie du silence et des puces.
Un beau matin le désir me vint d'être amoureux. Je m'évadai de ce cachot.
Déserteur. Muni de faux papiers je franchis la frontière, courus l'Europe, me livrai aux menus travaux et misères de la route, séjournai à Istanbul. Je revins deux ans plus tard caresser ma langue maternelle.
À Marseille on m'embaucha dans un hôpital psychiatrique comme auxilliaire puis infirmier. Pendant 7 ans j'observai les étranges contorsions de la folie. Ayant un peu perdu là toute notion du bien et du mal j'écrivis deux pièces de théâtre que je jouai dans le Sud de la France. Sans m'en rendre compte, je glissai du théâtre à l'écriture romanesque et là tout me servit : ce que j'avais vu dans les prisons militaires, sur les routes, à l'asile. J'entamai alors le grand voyage immobile.
Je savais qu'un jour Rimbaud avait dit : "En avant, Route !". Il ne me restait plus qu'à faire le plein de mon stylo.